Votre moral est en baisse ? C’est le moment de découvrir tous les « plaisirs minuscules » à la manière Philipp Delerm ! Écosser des petits-pois, enfiler un pull d’automne, savourer un banana split… Ces petites anecdotes vous donneront un regard nouveau sur les détails de la vie quotidienne.
Lorsque mon humeur est morose, j’aime redécouvrir des auteurs qui me partagent leur optimisme le temps de quelques pages. Je me tourne le plus souvent vers l’un de mes écrivains préférés, Philippe Delerm, dont j’apprécie le goût pour les choses simples. Avec lui, pas de prose pompeuse et assommante, mais des petites nouvelles, d’une ou deux pages, sur ce qui fait notre quotidien. Lire sur la plage, savourer la première gorgée de bière, écosser des petits pois… L’auteur s’arrête avec bienveillance sur les activités les plus banales et nous donne un regard nouveau, presque nostalgique, sur elles.
Si l’auteur a écrit plusieurs livres, c’est « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » paru en 1997 qui a fait sa renommée. Composé de 34 titres, ce recueil se distingue par sa légèreté et son épicurisme qui a fait l'originalité de l'auteur.
Delerm s’attarde sur des sujets variés, mais je souhaitais vous le faire découvrir à travers deux nouvelles gourmandes : « la première gorgée de bière » et « le paquet de gâteaux du dimanche matin ». Je vous souhaite une bonne lecture de ces plaisirs minuscules !
La première gorgée de bière
« C’est la seule qui compte. Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu’un empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir…
Mais la première gorgée ! Gorgée ? Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l’écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d’amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée ! On la boit tout de suite, avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit : la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l’amorce idéale ; le bien-être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut ; la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre à l’infini… En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l’éloigne même un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil froid. Par tout un rituel de sagesse et d’attente, on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de s’en échapper. On lit avec satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l’on avait commandée. Mais contenant et contenu peuvent s’interroger, se répondre en abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l’or pur, et l’enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil, l’alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C’est un bonheur amer : on boit pour oublier la première gorgée. »
Le paquet de gâteaux du dimanche matin
« Des gâteaux séparés, bien sûr. Une religieuse au café, un paris-brest, deux tartes aux fraises, un mille-feuille. A part pour un ou deux, on sait déjà à qui chacun est destiné mais quel sera celui en supplément pour les gourmands ? On égrène les noms sans hâte. De l'autre cote du comptoir, la vendeuse, la pince à gâteaux a la main, plonge avec soumission vers vos désirs ; elle ne manifeste même pas d'impatience quand elle doit changer de carton - le mille-feuille ne tient pas. C'est important ce carton plat, carre, aux bords arrondis, relevés. I1 va constituer le socle solide d'un édifice fragile, au destin menace.
- Ce sera tout !
Alors la vendeuse engloutit le carton plat dans une pyramide de papier rose, bientôt nouée d'un ruban brun. Pendant l'échange de monnaie, on tient le paquet par en dessous, mais dès la porte du magasin franchie, on le saisit par la ficelle, et on l'écarte un peu du corps. C'est ainsi. Les gâteaux du dimanche sont a porter comme on tient un pendule. Sourcier des rites minuscules, on avance sans arrogance, ni fausse modestie. Cette espèce de componction, de sérieux de roi mage, n'est-ce pas ridicule ? Mais non. Si les trottoirs dominicaux ont gout de flânerie, la pyramide suspendue y est pour quelque chose - autant que çà et là quelques poireaux dépassant d'un.
Paquet de gâteaux à la main, on a la silhouette du professeur Tournesol - celle qu'il faut pour saluer l'effervescence d'après messe et les bouffées de P.M.V., de café, de tabac. Petits dimanches de famille, petits dimanches d'autrefois, petits dimanches d'aujourd'hui, le temps balance en encensoir au bout d'une ficelle brune. Un peu de crème pâtissière a fait juste une tache en haut de la religieuse au café. »
J'espère que ces deux extraits du livre "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" vous auront autant conquis que moi ! L'auteur a écrit plusieurs autres ouvrages du même style dont "Les eaux troubles du mojito. Et autres belles raisons d'habiter sur terre" tout aussi agréable, je vous en conseille la lecture.
PHILIPPE DELERM
La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules
Collection L'Arpenteur, Gallimard
Parution 1997
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